Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, I, 1927, éd. Martineau.djvu/296

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est terrible dans un pays qui a la charte. Un homme doué d’une âme noble, généreuse, et qui eût été votre ami, mais qui habite à cent lieues, juge de vous par l’opinion publique de votre ville, laquelle est faite par les sots que le hasard a fait naître nobles, riches et modérés. Malheur à qui se distingue !

Aussitôt après le dîner, on repartit pour Vergy ; mais, dès le surlendemain, Julien vit revenir toute la famille à Verrières.

Une heure ne s’était pas écoulée, qu’à son grand étonnement, il découvrit que madame de Rênal lui faisait mystère de quelque chose. Elle interrompait ses conversations avec son mari dès qu’il paraissait, et semblait presque désirer qu’il s’éloignât. Julien ne se fit pas donner deux fois cet avis. Il devint froid et réservé ; madame de Rênal s’en aperçut et ne chercha pas d’explication. Va-t-elle me donner un successeur ? pensa Julien. Avant-hier encore, si intime avec moi ! Mais on dit que c’est ainsi que ces grandes dames en agissent. C’est comme les rois, jamais plus de prévenances qu’au ministre qui, en rentrant chez lui, va trouver sa lettre de disgrâce.

Julien remarqua que dans ces conversations, qui cessaient brusquement à son