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le rouge et le noir

toute sa méfiance du destin et des hommes, son âme dans ce moment n’était que celle d’un enfant, il lui semblait avoir vécu des années depuis l’instant où, trois heures auparavant, il était tremblant dans l’église. Il remarqua l’air glacé de madame de Rênal, il comprit qu’elle était en colère de ce qu’il avait osé lui baiser la main. Mais le sentiment d’orgueil que lui donnait le contact d’habits si différents de ceux qu’il avait coutume de porter, le mettait tellement hors de lui-même, et il avait tant d’envie de cacher sa joie, que tous ses mouvements avaient quelque chose de brusque et de fou. Madame de Rênal le contemplait avec des yeux étonnés.

— De la gravité, monsieur, lui dit M. de Rênal, si vous voulez être respecté de mes enfants et de mes gens.

— Monsieur, répondit Julien, je suis gêné dans ces nouveaux habits ; moi, pauvre paysan, je n’ai jamais porté que des vestes : j’irai, si vous le permettez, me renfermer dans ma chambre.

— Que te semble de cette nouvelle acquisition, dit M. de Rênal à sa femme ?

Par un mouvement presque instinctif, et dont certainement elle ne se rendit pas compte, madame de Rênal déguisa la vérité à son mari.

— Je ne suis point aussi enchantée que