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un classique

d’un air fin. Julien sourit de l’air le plus spirituel qu’il put.

Quel rapport peut-il y avoir entre mener toute une maison, porter une robe noire, et le 30 avril ? se disait-il. Il faut que je sois encore plus gauche que je ne le pensais.

— Je vous avouerai…, dit-il à l’académicien, et son œil continuait à interroger.

— Faisons un tour de jardin, dit l’académicien, entrevoyant avec ravissement l’occasion de faire une longue narration élégante. Quoi ! est-il bien possible que vous ne sachiez pas ce qui s’est passé le 30 avril 1574.

— Et où ? dit Julien étonné.

— En place de Grève.

Julien était si étonné, que ce mot ne le mit pas au fait. La curiosité, l’attente d’un intérêt tragique, si en rapport avec son caractère, lui donnaient ces yeux brillants qu’un narrateur aime tant à voir chez la personne qui l’écoute. L’académicien, ravi de trouver une oreille vierge, raconta longuement à Julien comme quoi, le 30 avril 1574, le plus joli garçon de son siècle, Boniface de La Mole, et Annibal de Coconasso, gentilhomme piémontais, son ami, avaient eu la tête tranchée en place de Grève. La Mole était l’amant adoré de la reine Marguerite de Navarre ; et remar-