Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
le rouge et le noir

indiquer à Julien le tombeau du maréchal Ney, qu’une politique savante prive de l’honneur d’une épitaphe. Mais en se séparant de ce libéral, qui, les larmes aux yeux, le serrait presque dans ses bras, Julien n’avait plus de montre. Ce fut riche de cette expérience que le surlendemain, à midi, il se présenta à l’abbé Pirard, qui le regarda beaucoup.

— Vous allez peut-être devenir un fat, lui dit l’abbé d’un air sévère. Julien avait l’air d’un fort jeune homme, en grand deuil ; il était à la vérité très-bien, mais le bon abbé était trop provincial lui-même pour voir que Julien avait encore cette démarche des épaules qui en province est à la fois élégance et importance. En voyant Julien, le marquis jugea ses grâces d’une manière si différente de celle du bon abbé, qu’il lui dit :

— Auriez-vous quelque objection à ce que M. Sorel prît des leçons de danse ?

L’abbé resta pétrifié.

— Non, répondit-il enfin, Julien n’est pas prêtre.

Le marquis montant deux à deux les marches d’un petit escalier dérobé, alla lui-même installer notre héros dans une jolie mansarde qui donnait sur l’immense jardin de l’hôtel. Il lui demanda combien il avait pris de chemises chez la lingère.