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le rouge et le noir

vie de Julien. Elle avait plus d’intérêt quand madame de Fervaques venait chez la marquise ; alors il pouvait entrevoir les yeux de Mathilde sous une aile du chapeau de la maréchale, et il était éloquent. Ses phrases pittoresques et sentimentales commençaient à prendre une tournure plus frappante à la fois et plus élégante.

Il sentait bien que ce qu’il disait était absurde aux yeux de Mathilde, mais il voulait la frapper par l’élégance de la diction. Plus ce que je dis est faux, plus je dois lui plaire, pensait Julien ; et alors, avec une hardiesse abominable, il exagérait certains aspects de la nature. Il s’aperçut bien vite que, pour ne pas paraître vulgaire aux yeux de la maréchale, il fallait surtout se bien garder des idées simples et raisonnables. Il continuait ainsi, ou abrégeait ses amplifications suivant qu’il voyait le succès ou l’indifférence dans les yeux des deux grandes dames auxquelles il fallait plaire.

Au total, sa vie était moins affreuse que lorsque ses journées se passaient dans l’inaction.

Mais, se disait-il un soir, me voici transcrivant la quinzième de ces abominables dissertations ; les quatorze premières ont été fidèlement remises au suisse de la maréchale. Je vais avoir l’honneur de