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le rouge et le noir

Enfin, voici la grande question : l’audace de Julien est-elle allée jusqu’à entreprendre de faire la cour à ma fille, parce qu’il sait que je l’aime avant tout, et que j’ai cent mille écus de rente ?

Mathilde proteste du contraire… Non, mon Julien, voilà un point sur lequel je ne veux pas me laisser faire illusion.

Y a-t-il eu amour véritable, imprévu ? ou bien désir vulgaire de s’élever à une belle position ? Mathilde est clairvoyante, elle a senti d’abord que ce soupçon peut le perdre auprès de moi, de là cet aveu : c’est elle qui s’est avisée de l’aimer la première…

Une fille d’un caractère si altier se serait oubliée jusqu’à faire des avances matérielles !… Lui serrer le bras au jardin, un soir, quelle horreur ! comme si elle n’avait pas eu cent moyens moins indécents de lui faire connaître qu’elle le distinguait.

Qui s’excuse s’accuse ; je me défie de Mathilde… Ce jour-là, les raisonnements du marquis étaient plus concluants qu’à l’ordinaire. Cependant l’habitude l’emporta, il résolut de gagner du temps et d’écrire à sa fille. Car on s’écrivait d’un côté de l’hôtel à l’autre. M. de La Mole n’osait discuter avec Mathilde et lui tenir tête. Il avait peur de tout finir par une concession subite.