Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
les premiers pas

ils n’iront pas risquer de gâter la bouche de leur cheval en l’arrêtant tout court.

Vingt fois Norbert vit Julien sur le point de tomber ; mais enfin la promenade finit sans accident. En rentrant, le jeune comte dit à sa sœur :

— Je vous présente un hardi casse-cou.

À dîner, parlant à son père, d’un bout de la table à l’autre, il rendit justice à la hardiesse de Julien ; c’était tout ce qu’on pouvait louer dans sa façon de monter à cheval. Le jeune comte avait entendu le matin les gens qui pansaient les chevaux dans la cour prendre texte de la chute de Julien pour se moquer de lui outrageusement.

Malgré tant de bonté, Julien se sentit bientôt parfaitement isolé au milieu de cette famille. Tous les usages lui semblaient singuliers, et il manquait à tous. Ses bévues faisaient la joie des valets de chambre.

L’abbé Pirard était parti pour sa cure. Si Julien est un faible roseau, qu’il périsse ; si c’est un homme de cœur, qu’il se tire d’affaire tout seul, pensait-il.