Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/494

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
493
la petite grotte

— Qui sait ? peut-être avons-nous encore des sensations après notre mort, disait-il un jour à Fouqué. J’aimerais assez à reposer, puisque reposer est le mot, dans cette petite grotte de la grande montagne qui domine Verrières. Plusieurs fois, je te l’ai conté, retiré la nuit dans cette grotte, et ma vue plongeant au loin sur les plus riches provinces de France, l’ambition a enflammé mon cœur : alors c’était ma passion… Enfin, cette grotte m’est chère, et l’on ne peut disconvenir qu’elle ne soit située d’une façon à faire envie à l’âme d’un philosophe… eh bien ! ces bons congréganistes de Besançon font argent de tout ; si tu sais t’y prendre, ils te vendront ma dépouille mortelle…

Fouqué réussit dans cette triste négociation. Il passait la nuit seul dans sa chambre, auprès du corps de son ami, lorsqu’à sa grande surprise, il vit entrer Mathilde. Peu d’heures auparavant il l’avait laissée à dix lieues de Besançon. Elle avait le regard et les yeux égarés.

— Je veux le voir, lui dit-elle.

Fouqué n’eut pas le courage de parler ni de se lever. Il lui montra du doigt un grand manteau bleu sur le plancher ; là était enveloppé ce qui restait de Julien.

Elle se jeta à genoux. Le souvenir de Boniface de La Mole et de Marguerite de