Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je la retiens pour moi », dit le Filloteau avec un gros rire. Et, s’approchant de la caisse ouverte, il y prit un cruchon.

« Je n’ai pas eu de peine à amener le prétexte, » pensa Lucien.

— Mais, colonel, cette respectable parente a juré de ne se séparer jamais de sa sœur, qui se nomme mademoiselle Cognac de 1810, entendez-vous ?

— Parbleu, on n’a pas plus d’esprit que vous ! Vous êtes réellement un bon garçon, s’écria Filloteau, et je dois des remerciements à l’ami Dévelroy pour m’avoir fait faire votre connaissance.

Ce n’était pas précisément avarice chez notre digne colonel ; mais il n’eût jamais songé à faire la dépense de deux caisses de liqueurs, et il était ravi de se les voir tomber du ciel. Goûtant tour à tour le kirsch et l’eau-de-vie, il compara longuement l’un et l’autre, et fut attendri.

— Mais parlons d’affaires : je suis venu ici pour ça, ajouta-t-il avec une affectation mystérieuse et en se jetant pesamment sur un canapé. Vous faites de la dépense ; trois chevaux achetés en trois jours, je ne critique pas cela, bien ! bien ! très bien ! mais que vont dire ceux de vos camarades qui n’en ont qu’un de chevaux, et encore qui souvent n’ont que trois jambes ? ajouta-t-il en riant d’un gros rire.