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Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/200

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fiasco dans un régiment juste-milieu, et où, par conséquent, l’argent est tout. Pour qu’au moins, en cas de démission, on ait quelque action de moi à citer à Paris, il faut que je me batte. Cela est d’usage en entrant dans un régiment ; du moins, on le croit dans nos salons, et, ma foi, si je perds la vie, je ne perdrai pas grand’chose. »

L’après-dînée, après le pansement du soir, dans la cour de la caserne, il dit à quelques officiers qui sortaient en même temps que lui :

— Des espions, qui abondent ici, m’ont accusé auprès du colonel du plus plat de tous les péchés ; on veut que je sois républicain. Il me semble pourtant que j’ai un rang dans le monde et quelque fortune à perdre. Je voudrais connaître l’accusateur pour, d’abord, me justifier à ses yeux, et ensuite lui faire deux ou trois petites caresses avec ma cravache.

Il y eut un moment de silence complet, et ensuite on parla d’autres choses.

Le soir Lucien rentrait de la promenade ; dans la rue son domestique lui remit une jolie lettre fort bien pliée ; il l’ouvrit et vit un seul mot : Renégat. En ce moment, Lucien était peut-être l’homme le plus malheureux de tous les régiments de lanciers de l’armée.