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Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/232

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Lucien dut subir de la part du bon Gauthier ce que les jeunes gens de Paris appellent une tartine sur l’Amérique, la démocratie, les préfets choisis forcément par le pouvoir central parmi les membres des conseils généraux, etc.

En écoutant ces raisonnements imprimés partout, « quelle différence d’esprit, pensait-il, entre Du Poirier et Gauthier ! et cependant ce dernier est probablement aussi honnête que l’autre est fripon. Malgré ma profonde estime pour lui, je meurs de sommeil. Puis-je, après cela, me dire républicain ? Ceci me montre que je ne suis pas fait pour vivre sous une république ; ce serait pour moi la tyrannie de toutes les médiocrités, et je ne puis supporter de sang-froid même les plus estimables. Il me faut un premier ministre coquin et amusant, comme Walpole ou M. de Talleyrand. »

En même temps Gauthier finissait son discours par ces mots… Mais nous n’avons pas d’Américains en France.

— Prenez un petit marchand de Rouen ou de Lyon, avare et sans imagination, et vous aurez un Américain.

— Ah ! que vous m’affligez ! s’écria Gauthier en se levant tristement et s’en allant comme une heure sonnait.