Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/271

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Un laquais, vêtu d’un habit de livrée vert clair trop long de six pouces, l’introduisit dans un salon immense assez bien meublé, mais mal éclairé. Toute la famille se leva à son arrivée. « C’est l’effet de leur manie de gesticuler, » pensa-t-il ; et, quoique d’une taille assez honnête, il se trouva presque le moins grand de la réunion. « Je conçois maintenant l’immensité du salon, pensa-t-il ; la famille n’aurait pas pu tenir dans une pièce ordinaire. »

Le père, vieillard en cheveux blancs, étonna Lucien. C’était exactement, pour le costume et pour les manières, un père noble d’une troupe de comédiens de province. Il portait la croix de Saint-Louis suspendue à un très long ruban, avec un large liséré blanc indiquant apparemment l’ordre du Lis. Il parlait fort bien et avec une sorte de grâce, celle qui convient à un gentilhomme de soixante et douze ans. Tout alla à merveille jusqu’au moment, où, en parlant de sa vie passée, il dit à Lucien qu’il avait été lieutenant du roi à Colmar.

À ce mot, Lucien fut saisi d’un sentiment d’horreur, que sa physionomie simple et bonne dut trahir à son insu, car le vieil officier se hâta de faire entendre, mais d’un air honnête et nullement piqué, qu’il