Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/274

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Lucien avait fait beaucoup plus d’attention à ce brave militaire, qui lui contait longuement ses campagnes de l’émigration et les injustices des généraux autrichiens, cherchant à faire écraser les corps d’émigrés, qu’aux six grandes filles qui l’entouraient. « Il faut cependant s’occuper d’elles, » se dit-il enfin. Ces demoiselles travaillaient autour d’une lampe unique ; car, cette année-là, l’huile était chère.

Leur manière de parler était simple. « On dirait, pensa Lucien, qu’elles demandent pardon de n’être pas jolies. »

Elles ne parlaient point trop haut ; elles ne penchaient point la tête sur l’épaule aux moments intéressants de leurs discours ; on ne les voyait point constamment occupées de l’effet produit sur les assistants ; elles ne donnaient pas de détails étendus sur la rareté ou le lieu de fabrique de l’étoffe dont leur robe était faite ; elles n’appelaient point un tableau une grande page historique, etc., etc. En un mot, sans la figure sèche et méchante de madame de Serpierre la mère, Lucien eût été complètement heureux et bonhomme ce soir-là, et encore il oublia bien vite ses remarques ; ce fut avec un plaisir vrai qu’il parla avec mademoiselle Théodelinde.