Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/308

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mot, fichu insolent ! » Et il salua le sous-lieutenant avec l’air franc et brusque d’un vieux soldat.

Ce fut ainsi, par un mélange de force et de prudence, comme on dit dans les livres graves, que Lucien laissa redoubler, à la vérité, la haine qu’on avait pour lui au régiment ; mais aucun mauvais propos ne fut entendu officiellement par lui. Plusieurs de ses camarades étaient aimables, mais il avait pris la mauvaise habitude de parler à ses camarades aussi peu que le pouvait admettre la politesse la plus exacte. Par cet aimable plan de vie, il s’ennuyait mortellement et ne contribuait en rien aux plaisirs des jeunes officiers de son âge ; il avait les défauts de son siècle.

Vers ce temps, l’effet de nouveauté de la société de Nancy sur l’âme de notre héros était tout à fait anéanti. Lucien connaissait par cœur tous les personnages. Il était réduit à philosopher. Il trouvait qu’il y avait plus de naturel qu’à Paris ; mais, par une conséquence naturelle, les sots étaient bien plus incommodes à Nancy. « Ce qui manque tout à fait à ces gens-ci, même aux meilleurs, se disait Lucien, c’est l’imprévu. » Cet imprévu, Lucien l’entrevoyait quelquefois auprès du docteur Du Poirier et de madame de Puylaurens.