Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/363

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dixième fois. Tout à coup il osa parler, et beaucoup. Il parlait de tout ce qui pouvait intéresser ou amuser la jolie femme qui, tout en donnant le bras à son grand cousin, daignait l’écouter avec des yeux étonnés. Sans perdre rien de sa douceur et de son accent respectueux, la voix de Lucien s’éclaircit et prit de l’éclat. Les idées nettes et plaisantes ne lui manquèrent pas plus que les paroles vives et pittoresques pour les peindre. Dans la simplicité noble du ton qu’il osa prendre spontanément avec madame de Chasteller, il sut faire apparaître, sans se permettre assurément rien qui pût choquer la délicatesse la plus scrupuleuse, cette nuance de familiarité délicate qui convient à deux âmes de même portée, lorsqu’elles se rencontrent et se reconnaissent au milieu des masques de cet ignoble bal masqué qu’on appelle le monde. Ainsi des anges se parleraient qui, partis du ciel pour quelque mission, se rencontreraient, par hasard, ici-bas.

Cette simplicité noble n’est pas, il est vrai, sans quelque rapport avec la simplicité de langage autorisée par une ancienne connaissance ; mais, comme correctif, chaque mot semble dire : « Pardonnez-moi pour un moment ; dès qu’il vous plaira reprendre le masque, nous redeviendrons complètement étrangers