Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/376

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propos de ce jeune homme, la firent passer d’une pâleur mortelle à une rougeur imprudente ; ses yeux mêmes rougirent. Mais, oserais-je bien le dire, en ce siècle gourmé et qui semble avoir contracté mariage avec l’hypocrisie, ce fut d’abord de bonheur que rougit madame de Chasteller, et non à cause des conjectures que pouvaient former les danseurs qui, en suivant les diverses figures du cotillon, passaient sans cesse devant eux.

Elle pouvait choisir de répondre ou de ne pas répondre à cet amour ; mais combien il était sincère ! avec quel dévouement elle était aimée ! « Peut-être, probablement même, se dit-elle, ce transport ne durera-t-il pas ; mais comme il est vrai ! comme il est exempt d’exagération et d’emphase ! C’est sans doute là la vraie passion ; c’est sans doute ainsi qu’il est doux d’être aimée. Mais être soupçonnée par lui au point que son amour en soit arrêté ! Mais l’imputation est donc infâme ? »

Madame de Chasteller restait pensive, la tête appuyée sur son éventail. De temps en temps, ses yeux se tournaient vers Lucien, qui était immobile, pâle comme un spectre, tout à fait tourné vers elle. Les yeux de Lucien étaient d’une indiscrétion qui l’eût fait frémir, si elle y eût pensé.