Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/388

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retenue sans laquelle mon sexe ne peut aspirer ni au respect du monde, ni presque à sa propre estime. Si M. Leuwen a un peu de cette présomption si naturelle à son âge, et que je croyais lire dans ses façons quand je le voyais passer sous ma fenêtre, j’ai forfait à jamais, j’ai détruit par un seul instant d’oubli la pureté de la pensée qu’il put avoir de moi. Hélas ! mon excuse, c’est que c’est le premier mouvement de passion désordonnée que j’ai eu de ma vie. Mais cette excuse peut-elle se dire ? Peut-elle même s’imaginer ? Oui, j’ai oublié toutes les lois de la pudeur ! »

Elle osa se dire ce mot terrible. Aussitôt, les larmes qui remplissaient ses yeux se séchèrent subitement.

— Mon cher cousin, dit-elle au vicomte de Blancet avec une certaine assurance convulsive (mais il ne sut point voir cette nuance, il n’était attentif qu’au degré d’intimité qu’on aurait avec lui), ceci est une attaque de nerf dans toutes les règles. Faites, au nom de Dieu, que personne dans le bal ne s’en aperçoive, et allez me chercher un verre d’eau. Elle lui dit de loin : « D’eau à la glace, s’il se peut. »

Les soins nécessaires pour jouer cette petite comédie firent quelque diversion à son affreuse douleur ; son œil hagard suivait au loin les mouvements du vicomte.