Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/10

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rades, redevenus méchants, se disaient :

« Ce beau dandy de Paris n’est pas accoutumé au champagne, il est encore détraqué d’hier ; il faudra l’engager à boire souvent. Nous nous moquerons de lui avant, pendant, et après ; c’est parfait. »

Ce lendemain de sa première rencontre avec cette femme de laquelle Leuwen se croyait si sûr, il fut absolument hors de lui. Il ne comprenait rien à tout ce qui lui arrivait, pas plus aux sentiments qu’il voyait naître dans son cœur qu’aux actions des autres avec lui. Il lui semblait qu’on faisait allusion à ses sentiments pour madame de Chasteller, et il avait besoin de toute sa raison pour ne pas se fâcher.

« J’agirai au jour le jour, se dit-il enfin, me jetant à chaque moment à l’action qui me fera le plus de plaisir. Pourvu que je ne fasse de confidence à qui que ce soit au monde et que je n’écrive à personne sur ma folie, personne ne pourra me dire un jour : « Tu as été fou. » Si cette maladie ne m’emporte pas, du moins elle ne pourra me faire rougir. Une folie bien cachée perd la moitié de ses mauvais effets. L’essentiel est qu’on ne devine pas ce que je sens. »

En peu de jours, il s’opéra chez Leuwen un changement complet. Dans le monde,