Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/102

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fâcheuses se représentaient en foule à l’esprit troublé de madame de Chasteller. Tout le bonheur de sa vie dépendait de la probité de Leuwen. Elle lui trouvait des manières charmantes, elle connaissait son esprit ; mais sentait-il tout ce qu’il exprimait ou joignait-il à ses autres qualités celle de comédien habile ?

« Il est jeune, il est riche, il porte un uniforme brillant, il vient de Paris, ne serait-ce après tout qu’un fat ? Tout le monde le dit à Nancy. Il afficherait la timidité au lieu de la confiance naturelle à ces messieurs, parce qu’il me suppose un caractère sérieux ; et moi j’ai la simplicité d’avoir en lui une confiance sans bornes ! Que deviendrai-je si jamais je suis réduite à le mépriser ? »

La possibilité de la fausseté chez l’homme qu’elle aimait allait jusqu’à inspirer à madame de Chasteller des moments de fureur contre elle-même qu’elle n’avait jamais connus. Dans les moments où elle était assaillie de ces soupçons on eût dit qu’elle était malade, tant le changement que ces idées imprimaient à ses traits était prompt, subit et profond. La physionomie qu’elle prenait tout d’un coup était faite pour ôter tout courage à l’amant le plus confiant, et Leuwen était bien loin d’être cet amant confiant. Il n’avait pas