Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/126

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comme une population trop nombreuse et trop instruite…

Leuwen se conduisit fort bien.

« Cela est plausible, répondit-il… il y a beaucoup à dire… Je ne suis point assez préparé sur ces hautes questions… »

Il fit quelques objections, mais ensuite eut l’air d’admettre les grands principes du docteur.

« Mais ce coquin-là, se disait-il tout en écoutant, croit-il à ce qu’il me dit ? (Il examinait attentivement cette grosse tête sillonnée de rides si profondes.) Je vois bien là-dessous la finesse cauteleuse d’un procureur bas-normand, mais non la bonhomie nécessaire pour croire à ces bourdes. Du reste, on ne peut refuser à cet homme un esprit vif, une parole chaleureuse, un grand art à tirer tout le parti possible des plus mauvais raisonnements, des suppositions les plus gratuites. Les formes sont grossières, mais, en homme d’esprit et qui connaît son siècle, loin de vouloir corriger cette grossièreté, il s’y complaît ; elle fait son originalité, sa mission et sa force ; on dirait qu’il l’exagère à dessein. C’est un moyen de succès. La noble fierté de ces hobereaux ne peut pas craindre qu’on le confonde avec eux. Le plus sot peut se dire : « Quelle différence de cet homme à moi ! » Et il en admet plus