Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/142

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ce soir ? Si je lève les yeux, madame d’Hocquincourt, lui-même, tout le monde, verra que je l’aime. Ah ! quelle imprudence j’ai commise en venant ici ce soir ! Je n’ai plus qu’un parti à prendre : dussé-je périr à cette place, je vais rester ici, immobile et en silence. Peut-être ainsi parviendrai-je à ne plus rien faire dont je doive rougir. »

Les yeux de madame de Chasteller restèrent en effet fixés sur une gravure, et elle se baissa extrêmement sur la table.

Madame d’Hocquincourt attendit un instant que madame de Chasteller relevât les yeux, mais sa méchanceté n’alla pas plus loin. Elle n’eut point l’idée de lui adresser quelque parole piquante qui, tout en augmentant son trouble, l’eût forcée à relever les yeux et à se donner en spectacle. Elle oublia madame de Chasteller et n’eut plus d’yeux que pour Leuwen. Elle le trouva ravissant en ce moment : il avait des yeux tendres, et cependant un petit air mutin. Lorsqu’elle ne pouvait pas s’en moquer chez un homme, cet air mutin décidait de la victoire.