Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/144

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parce qu’elle cherchait à conserver l’expression non affectée qu’un homme a quand il est seul dans sa chambre à se faire la barbe.

« Ma mère a raison, se dit Lucien. Ces Anglais sont les rois de l’affectation. » Et il ne pensa plus qu’au cheval ; mais son admiration croissait à chaque fois qu’il le rencontrait.

Madame d’Hocquincourt lui faisant compliment, un jour, sur le sien :

— Il n’est pas mal, je lui suis réellement attaché. Mais j’en rencontre un quelquefois qui, s’il n’a pas quelque défaut caché, est pour la légèreté des mouvements de beaucoup supérieur. Ce cheval semble ne pas toucher terre ou plutôt on croirait que la terre est élastique et dans les mouvements vifs, par exemple, au trot, le lance en l’air.

— Vous perdez terre vous-même, mon cher lieutenant. Quel feu ! Les beaux yeux que vous avez quand vous parlez de ce que vous aimez ! Vous êtes un autre homme. En vérité, par pure coquetterie, vous devriez aimer, et être amant indiscret, et parler de votre objet.

— Ce que j’aime dans ce moment n’abuse pas de son empire sur moi ; j’aurais peur de mes folies si j’aimais réellement : elles éteindraient bientôt l’amour qu’on