Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/177

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Madame de Chasteller aimait surtout que Leuwen lui confiât ses idées sur elle-même, à diverses époques, dans le premier mois de leur connaissance, à cette heure… Cette confidence tendait à affaiblir une des suggestions de ce grand ennemi de notre bonheur nommé la prudence. Elle disait, cette prudence :

« Ceci est un jeune homme d’infiniment d’esprit et fort adroit qui joue la comédie avec vous. »

Jamais, Leuwen n’osa lui confier le propos de Bouchard sur le lieutenant-colonel de hussards et l’absence de toute feinte était si complète entre eux que deux fois ce sujet, approché par hasard, fut sur le point de les brouiller. Madame de Chasteller vit dans ses yeux qu’il lui cachait quelque chose.

— Et c’est ce que je ne pardonnerai pas, lui dit-elle avec fermeté.

Elle lui cachait, elle, que presque tous les jours son père lui faisait une scène à son sujet.

— Quoi ! ma fille, passer deux heures tous les jours avec un homme de ce parti, et encore auquel sa naissance ne permet pas d’aspirer à votre main !

Venaient ensuite les paroles attendrissantes sur un vieux père presque octogénaire abandonné par sa fille, par son unique appui.