Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/22

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comme en deux mois elle ne l’avait pas reçu une seule fois chez elle quand rien au monde n’eût été plus simple, on avait fini par supposer qu’en parlant à Leuwen au bal, elle commençait à éprouver les effets de l’indisposition qui peu après l’avait forcée à rentrer chez elle. Depuis son évanouissement du bal, elle avait dit en confidence à deux ou trois dames de sa connaissance :

« Je n’ai plus retrouvé ma santé ordinaire ; elle a péri dans un verre de vin de Champagne. »

Effarouchée par la vue de Leuwen et par ce qu’il avait osé lui dire à leur dernière rencontre, elle fut de plus en plus fidèle à son vœu de solitude parfaite.

Madame de Chasteller avait donc satisfait à la prudence ; personne ne soupçonnait une cause morale à son indisposition du bal, mais son cœur souffrait cruellement. Elle manquait de l’estime pour soi-même, et la paix intérieure, qui était le seul bien dont elle eût joui depuis la révolution de 1830, lui était devenue tout à fait étrangère. Cet état moral et la retraite forcée dans laquelle elle vivait commençaient à altérer sa santé. Toutes ces circonstances, et sans doute aussi l’ennui qui en résultait, donnèrent de la valeur aux lettres de Leuwen.