Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/246

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drissement ridicule prenait le dessus :

« Peut-être l’eussé-je obtenue, se disait-il, sans la cruauté de l’aveu à faire : « Un autre m’a aimée, et je suis… »

« Car il y a des jours où elle m’aimait vraiment… Sans le cruel état où elle se trouvait. elle m’eût dit : « Eh bien ! oui, je vous aime ! » Mais alors il fallait ajouter : « L’état où je me trouve… » Car elle a de l’honneur, j’en suis sûr… Elle m’a mal connu ; cet aveu n’eût pas détruit l’étrange sentiment que j’ai pour elle. Toujours j’en ai eu honte, et toujours il m’a dominé.

« Elle a été faible, et moi, suis-je parfait ? Mais pourquoi m’abuser ? disait-il en s’interrompant avec un sourire amer. Pourquoi parler le langage de la raison ? Quand j’aurais trouvé en elle des défauts choquants, que dis-je ? des vices déshonorants, j’aurais été cruellement combattu, mais je n’aurais pu cesser de l’aimer. Désormais, qu’est-ce que la vie pour moi ? Un long supplice. Où trouver le plaisir, où trouver seulement un état exempt de peines ? »

Cette sensation triste finissait par amortir toutes les autres. Il parcourait tous les états de la vie, les voyages comme le séjour à Paris, la richesse extrême, le pouvoir, partout il trouvait un dégoût invincible. L’homme qui venait lui parler