Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/248

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Il était extrêmement malheureux ; le fond de tous ses raisonnements était cette folie :

« À quoi bon choisir un état pour la troisième fois ? Puisque je n’ai pas su plaire à madame de Chasteller[1], que saurai-je jamais ? Quand on possède une âme comme la mienne, à la fois faible et impossible à contenter, on va se jeter à la Trappe. »

Le plaisant, c’est que toutes les amies de madame Leuwen lui faisaient compliment sur l’excellente tenue que son fils avait acquise. « C’est maintenant l’homme sage, disait-on de toutes parts, l’homme fait pour satisfaire l’ambition d’une mère. »

Dans son dégoût pour les hommes, Lucien n’avait garde de leur laisser [deviner] ses pensées ; il ne leur répondait que par des lieux communs bien maniés.

Tourmenté par la nécessité de donner le soir même une réponse décisive, il alla dîner seul, car il fallait parler et être aimable à la maison ou bien il pleuvait des épigrammes, et l’usage était de n’épargner personne.

Après dîner, Lucien erra sur le boulevard et ensuite dans les rues ; il craignait de rencontrer des amis sur le boulevard,

  1. Contradiction.