Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/283

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dit le bon lieutenant du roi à Colmar ; mais ne parlons plus de cela, autrement les méchants diront que nous allons à la chasse aux maris. »

Il y avait bien six ans que le bon M. de Serpierre n’avait trouvé un mot si dur. Celui-ci fit époque dans sa famille, et la réputation de Leuwen, jusque-là séducteur de mauvaise foi de mademoiselle Théodelinde, fut restaurée.

Tous les jours, pour fuir le malheur d’être rencontrées par des électeurs auxquels il eût fallu faire bon accueil, les deux amies faisaient de grandes promenades au Chasseur vert. Madame de Chasteller aimait à revoir ce charmant café-hauss. Ce fut là que l’ultimatum sur le voyage de Paris fut arrêté.

— Ta conscience elle-même, si timorée, ne pourra t’appliquer ce mot si humiliant et si vulgaire : courir après un amant, si tu te jures à toi-même de ne jamais lui parler.

— Eh ! bien, soit ! dit madame de Chasteller saisissant cette idée. À ces conditions, je consens, et mes scrupules s’évanouissent. Si je le rencontrais au bois de Boulogne, s’il s’approchait de moi et m’adressait la parole, je ne lui répondrais pas un seul mot avant d’avoir revu le Chasseur vert.