Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/394

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cueil des femmes dont madame Grandet admirait le plus la fortune et la façon d’être dans le monde et la niche qu’elles s’étaient faites dans l’histoire.

« Ce serait négliger un avantage actuel et bien passager, s’était-elle dit enfin, que de ne pas inspirer une grande passion ; mais le choix est scabreux : que n’ai-je pas fait pour conquérir simplement pour ami un homme qui fût de haute naissance ? Les agréments, la jeunesse et, à plus forte raison, la fortune, n’ont rien été pour moi ; je ne voulais qu’un sang pur et une réputation sans tache. Mais aucun homme appartenant à l’ancienne noblesse de cour n’a voulu prendre ce rôle. Comment espérer d’en trouver un pour celui d’un être parfaitement infortuné, de l’amoureux, en un mot, de la femme d’un fabricant enrichi ? »

Ainsi se parlait madame Grandet. Elle avait cette force : elle ne ménageait point les termes en raisonnant avec soi-même ; c’était l’invention, c’était l’esprit proprement dit que l’on ne trouvait point chez elle. Elle repassait dans sa tête toutes les démarches et presque toutes les bassesses qu’elle avait faites. En vain avait-elle fait des bassesses pour voir plus souvent deux ou trois hommes de cette volée que le hasard avait fait paraître dans son salon,