Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tourmenté par la vivacité des sentiments qui enflammeraient mon âme ; mais en ouvrant la bouche devant ce juge suprême, et sévère surtout, auquel je tremblerais de déplaire, je ne pourrais que lui dire : « Voyez mon trouble, vous remplissez tellement tout mon cœur qu’il ne lui reste pas même la force de se représenter lui-même à vos yeux. »

Madame de Chasteller avait écouté d’abord avec plaisir, mais vers la fin de ce discours, elle eut peur de mademoiselle Bérard ; les phrases de Leuwen lui semblèrent beaucoup trop transparentes. Elle se hâta de l’interrompre.

— Avez-vous en effet, monsieur, quelque espérance de vous faire élire à la chambre des Députés ?

Leuwen cherchait à répondre avec modestie sur ses espérances, lorsqu’une idée lui vint :

« Voilà donc cette entrevue que j’avais considérée comme le bonheur suprême ! »

Cette réflexion le glaça. Il ajouta quelques phrases dont la platitude lui fit pitié. Tout à coup il se leva et se hâta de sortir. C’était avec empressement qu’il quittait cet appartement dans lequel l’espérance de pénétrer avait été le bonheur suprême.

À peine arrivé dans la rue, il se trouva bien étonné, et comme stupide.