Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/65

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« Non, se dit-elle, puisque je ne le suis pas en effet. Dans le trouble où je me trouve je ne puis manquer à quelque devoir que si je me permets la plus petite hypocrisie. »

Je trouve qu’il y eut une haute raison à madame de Chasteller de se parler ainsi, et beaucoup de courage à suivre le parti que montrait la raison. De sa vie, elle n’avait été aussi surprise.

« M. Leuwen ne serait-il qu’un fat, après tout, comme on le dit ? Et son seul but aurait-il été d’obtenir de moi le mot imprudent que j’ai dit avant-hier ? »

Madame de Chasteller repassait dans sa tête toutes les marques d’un cœur vraiment touché qu’elle avait cru voir.

« Me serais-je trompée ? La vanité m’aurait-elle abusée à ce point ? Il n’y a plus rien de vrai pour moi au monde, se dit-elle tout à coup, si M. Leuwen n’est pas un être sincère et bon. »

Puis, elle retombait dans de cruelles incertitudes, elle repoussait avec peine le mot de fat que tout Nancy attachait au nom de Leuwen.

« Mais non, je me le suis dit mille fois, et dans des moments où j’avais tout le sang-froid désirable : c’est le tilbury de M. Leuwen, et surtout les livrées de ses gens, qui le font appeler fat, et non son