Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/76

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en parlant de cette demoiselle dont la vue m’avait empoisonné, sont ridicules. Je trouve qu’il fait ici un temps aussi beau qu’avant-hier. Mais avant de me livrer au bonheur inspiré par ce beau lieu, j’aurais besoin, madame, d’avoir votre opinion sur le ridicule de cette harangue, où il y avait des chaînes, du poison, et bien d’autres mots tragiques.

— Je vous avouerai, monsieur, que je n’ai pas d’opinion bien arrêtée. Mais en général, ajouta-t-elle après un petit silence et d’un air sévère, je crois voir de la sincérité ; si l’on se trompe, du moins l’on ne veut pas tromper. Et la vérité fait tout passer, même les chaînes, le poison, etc.

Madame de Chasteller avait envie de sourire en prononçant ces mots.

« Quoi donc, se dit-elle avec un vrai chagrin, je ne pourrai jamais conserver un ton convenable en parlant à M. Leuwen ! Lui parler est-il donc un si grand bonheur pour moi ! Et qui peut me dire que ce n’est pas un fat, qui a voulu jouer en moi une pauvre provinciale ? Peut-être, sans être précisément un malhonnête homme, il n’a pour moi que des sentiments fort ordinaires, et cet amour-là est fils de l’ennui d’une garnison. »

C’était ainsi que parlait encore dans le