Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/21

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Il se trouva que cet Allemand n’avait point trop de peur des plaisanteries et de l’ironie françaises. Lucien avait un peu trop compté sur ce moyen, et enfin, comme il ne savait pas le premier mot de cette question, et ne savait pas même en quelle langue Mabillon avait écrit, il fut battu.

À une heure, Lucien quitta cette maison ou l’on avait tout fait pour chercher à lui plaire. Son âme était desséchée. Les idées de l’homme, de l’anecdote du littérateur, de la discussion savante, des formes admirablement polies, lui faisaient horreur. Ce fut avec délices qu’il se permit un tête à tête d’une heure avec le souvenir de madame de Chasteller. Les hommes, dont il venait de voir la fleur ce soir-là, étaient faits pour le faire douter de la possibilité de l’existence d’êtres comme madame de Chasteller. Ce fut avec délices qu’il retrouva cette image chérie, elle avait comme la grâce de la nouveauté, qui est l’unique chose peut-être qui manque au souvenir de l’amour.

Les gens de lettres, les savants, les députés qu’il venait de voir n’avaient garde de paraître dans le salon horriblement méchant de madame Leuwen : on s’y fût moqué d’eux tout en plein. Là, tout le monde se moquait de tout le monde, tant