Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/340

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— Oui, mais M. de Vaize est poli, et Leuwen sacrifiera toujours un ami à un bon mot[1].

— Vous sentez-vous le courage de prendre M. Lucien Leuwen, ce fils silencieux d’un père si bavard, pour votre secrétaire général ?

— Comment ! Un sous-lieutenant de lanciers secrétaire général ! Mais c’est un rêve ! Cela ne s’est jamais vu ! Où est la gravité ?

— Hélas ! nulle part. Il n’y a plus de gravité dans nos mœurs, c’est déplorable. M. Leuwen n’a pas été grave en me donnant son ultimatum, sa condition sine qua non… Songer, monsieur, que si nous faisons une promesse, il faut la tenir.

— Prendre pour secrétaire général un petit sournois qui s’avise aussi d’avoir des idées ! Il jouera auprès de moi le rôle que M. de N…[2] jouait auprès de M. de Villèle. Je ne me soucie pas d’un ennemi intime.

Madame Grandet eut encore à supporter vingt minutes d’humeur, les phrases spirituelles et profondes d’un demi-sot qui cherchait à imiter Montesquieu, qui ne comprenait pas un mot à sa position, et qui avait l’intelligence bouchée par cent

  1. M. Grandet a une peur du diable des épigrammes, comme Martial, comme les sots qui s’imposent la corvée de lire et d’être littéraires.
  2. Renneville.