Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quinze ou vingt personnes qui successivement s’approchèrent de la table d’échecs était frappant.

« Et une telle femme me fait presque la cour ! pensait Lucien, tout en donnant à madame Grandet le plaisir de le gagner. Il faut que je sois un être bien singulier pour n’être pas heureux. »

Tout à coup, il se dit :

« Je suis dans une position analogue à celle de mon père. Je perds ma position dans ce salon si je n’en profite pas, et qui me dit que je ne la regretterai pas ? J’ai toujours méprisé cette position, mais je ne l’ai jamais occupée. La méprise serait d’un sot. »

— C’est un avantage bien cruel pour moi que celui de jouer aux échecs avec vous. Si vous ne répondez pas à mon fatal amour, il ne me reste d’autre ressource que de me brûler la cervelle.

— Eh bien ! vivez et aimez-moi… Votre présence ce soir m’ôterait tout l’empire que je dois avoir sur moi-même pour répondre à tant de monde. Allez parler cinq minutes à mon mari, et venez demain à une heure, à cheval s’il fait beau[1].

— Me voilà donc heureux », pensa Lucien en remontant dans son cabriolet.

  1. Déclaration de Madame. Reddition de la place.