Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/356

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il ne se laissait pas engourdir par la paresse ou par l’humeur, avait fait à ce futur collègue quatre ou cinq questions brusques, auxquelles le riche banquier, peu accoutumé à s’entendre parler aussi nettement, avait répondu par des phrases qu’il croyait bien arrondies. Sur quoi le maréchal qui détestait les phrases, d’abord parce qu’elles sont détestables, et ensuite parce qu’il ne savait pas en faire, lui avait tourné le dos.

— Mais, votre homme n’est qu’un sot !

M. Grandet était rentré chez lui pâle et désespéré. De toute la journée il ne fut plus tenté de se comparer à Colbert. Il avait justement le degré de tact nécessaire pour comprendre qu’il avait souverainement déplu au maréchal. Il est vrai que la grossièreté du vieux général, ennuyé, voleur et rongé de bile, avait proportionné sa conduite à la rapidité de tact de M. Grandet.

Celui-ci raconta son malheur à sa femme, qui accabla son mari de flatteries mais prit sur-le-champ la ferme opinion que M. Leuwen l’avait trompée. Elle méprisait bien son mari, ainsi que le doit toute honnête femme, mais elle ne le méprisait pas assez.

« Quel est son métier ? se disait-elle depuis trois ans. Il est banquier et colonel