Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/377

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la part d’un homme dont l’âme naïve et étrangère aux adresses vulgaires donnait à toutes les démarches une teinte de singularité et de noblesse singulière, ce naturel était ce qu’il y avait de mieux calculé pour faire naître un sentiment extraordinaire dans ce cœur si sec jusque-là.

Il faut avouer qu’en arrivant à la seconde demi-heure d’une visite il parlait peu et pas très bien, et il n’osait pas se permettre de dire ce qui lui venait à la tête.

Cette habitude, antisociale à Paris, avait été voilée jusqu’à cette époque de sa vie parce que, à l’exception de madame de Chasteller, personne n’avait été intime avec Lucien, et de la vie on ne l’avait vu prolonger une visite plus de vingt minutes. Sa manière de vivre avec madame Grandet vint mettre à découvert ce défaut cruel, celui de tous qui est le plus fait pour casser le cou à la fortune d’un homme. Malgré des efforts incroyables, Lucien était absolument hors d’état de dissimuler un changement d’humeur, et il n’y avait pas, au fond, de caractère plus inégal. Cette mauvaise qualité, en partie voilée par toutes les habitudes les plus nobles et les plus simples de politesse exquise données par une mère femme