Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/388

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l’orgueil le plus invétéré, le plus fortifié par l’habitude, lui disputait le cœur de madame Grandet, dont la tenue dans le monde était si imposante et le nom si haut placé dans les annales de la vertu contemporaine.

Jamais tempête de l’âme ne fut plus pénible ; à chaque reprise de cette affreuse douleur, le pauvre orgueil était battu et perdait du terrain. Il y avait trop longtemps que madame Grandet lui obéissait en aveugle, elle était ennuyée de ce genre de plaisirs qu’il procure.

Tout à coup, cette habitude de l’âme et la passion cruelle, qui se disputaient le cœur de madame Grandet, réunirent leurs efforts pour la mettre au désespoir. Quoi ! voir ses ordres éludés, désobéis, méprisés par un homme !

« Mais il ne sait donc pas vivre ? » se disait-elle.

Enfin, après deux heures passées au milieu de douleurs atroces et d’autant plus poignantes qu’elles étaient senties pour la première fois, elle, rassasiée de flatteries, d’hommages, de respects, et de la part des hommes les plus considérables de Paris, l’orgueil crut triompher. Dans un transport de malheur, forcée par la douleur à changer de place, elle descendit de chez elle et monta en voiture. Mais à peine y fut-elle qu’elle changea d’avis.