Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/392

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« Faudra-t-il, monsieur, lui dit madame Grandet, que je vous prie de faire retirer votre huissier ? »

Le langage de madame Grandet ennoblissait les fonctions, suivant son habitude. Il ne s’agissait que d’un simple garçon de bureau qui, voyant une belle dame à équipage entrer d’un air si troublé, était resté par curiosité, sous prétexte d’arranger le feu qui allait à merveille. Cet homme sortit sur un regard de Lucien. Le silence continuait.

— Quoi ! monsieur, dit enfin madame Grandet, vous n’êtes pas étonné, stupéfait, confondu, de me voir ici ?

— Je vous avouerai, madame, que je ne suis qu’étonné d’une démarche très flatteuse assurément, mais que je ne mérite plus.

Lucien n’avait pu se faire violence au point d’employer des mots décidément peu polis, mais le ton avec lequel ces paroles étaient dites éloignait à jamais toute idée de reproche passionné et les rendait presque froidement insultantes. L’insulte vint à propos renforcer le courage chancelant de madame Grandet. Pour la première fois de sa vie, elle était timide, parce que cette âme si sèche, si froide, depuis quelques jours éprouvait des sentiments tendres.