Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/397

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brillantes, où l’on s’amusât, où il n’y eût que la meilleure société de la cour de Louis-Philippe !

Madame Grandet trouva que Lucien avait raison, elle voyait combien sa colère à elle était peu fondée, elle n’y pensait plus, elle allait plus loin : elle prenait le parti de Lucien contre elle-même.

Le silence dura plusieurs minutes ; enfin, madame Grandet ôta le mouchoir qu’elle avait devant les yeux, et Lucien fut frappé d’un des plus grands changements de physionomie qu’il eût jamais vus. Pour la première fois de sa vie, du moins aux yeux de Lucien, cette physionomie avait une expression féminine[1]. Mais Lucien observait ce changement, et en était peu touché. Son père, madame Grandet, Paris, l’ambition, tout cela en ce moment était frappé du même anathème à ses yeux. Son âme ne pouvait être tou-

  1. [Cette tête si belle de Mme Grandet certes en ce moment ne manquait pas d’expression, charme si rare chez elle. Pour extrême augmentation de charmes, elle avait les cheveux un peu en désordre ; elle venait de jeter son chapeau avec distraction. Et toutefois cette tête si belle et si jeune, que Paul Véronèse eût voulu avoir pour modèle, faisait, exactement parlant, mal aux yeux de Lucien. Il n’y voyait plus qu’une catin triomphant d’être assez belle pour se vendre afin d’acheter un ministère. Plus elle réunissait de richesses, de considération et d’avantages sociaux, plus à ses yeux il était odieux de se vendre. « Elle est à cent piques au-dessous d’une pauvre fille du coin de la rue qui se vend pour avoir du pain ou acheter une robe. » ]