Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ceci fut dit avec naturel et bonhomie, et Lucien était si jeune encore que ce ton amena la réponse :

— Non, monsieur le comte ; car pour ne pas chagriner mon père je suis prêt à prendre ces missions, s’il n’y a pas de sang au bout.

— Est-ce que nous avons le pouvoir de répandre du sang ? dit le ministre avec un ton de voix bien différent, et où il y avait du reproche et presque du regret.

Ce mot venant du cœur frappa Lucien.

« Voilà un inquisiteur tout trouvé », se dit-il.

— Il s’agit de deux choses, reprit le ministre avec un ton de voix tout administratif.

« Il faut mesurer ses termes et chercher à ne pas blesser notre Leuwen, se disait le ministre. Et voilà à quoi nous en sommes réduits avec nos subalternes ! Si nous en trouvons de respectueux, ce sont des hommes douteux, prêts à nous vendre au National ou à Henri V. »

— Il s’agit de deux choses, mon cher aide de camp, continua-t-il tout haut : aller faire une apparition à Champagnier, dans le Cher, où monsieur votre père a de grandes propriétés, parler à vos hommes d’affaires, et par leur secours deviner ce qui rend la nomination de M. Blondeau si incertaine. Le préfet, M. de Riquebourg, est un brave