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ŒUVRES DE STENDHAL.

comparatifs, de leurs défauts et de leurs qualités, et l’ennuyeuse politique, si impolie en province, est tout à fait laissée de côté.

Beaune est située sur un sol calcaire ; on a planté une jolie promenade le long des remparts, et la Bourgeoise, petite rivière fort limpide et pleine de grandes herbes vertes qui flottent avec l’eau, traverse la ville. La cour de l’hôpital offre de jolis restes d’architecture gothique. Nicolas Rollin, chancelier de Philippe duc de Bourgogne, fonda cet hôpital en 1445. Il est bien juste, dit Louis XI, que Rollin, après avoir fait tant de pauvres, construise un hôpital pour les loger.

L’animosité des gens de Chaumont contre ceux de Langres n’est rien si on la compare à celle des habitants de Dijon contre les Beaunois. À en croire les Dijonnais, l’air seul de Beaune est abrutissant, et c’est à qui racontera les simplicités beaunoises les plus ridicules. On peut voir le Voyage à Beaune, par Piron. Piron, après s’être moqué des Beaunois pendant deux ans, eut la témérité de venir à Beaune : il pensa lui en coûter cher, ainsi qu’il le dit lui-même[1]. Il alla au spectacle ; il fut reconnu dans le parterre, les jeunes gens montèrent sur le théâtre et l’accablèrent d’injures. On eut bien de la peine à commencer la pièce, elle allait s’achever sans encombre, lorsqu’un jeune Beaunois, impatienté du bruit que faisait la haine contre Piron, s’avisa de crier : Paix donc ! on n’entend rien.

Ce n’est pas faute d’oreilles ! répliqua Piron. Ce mot n’était pas mal brave. Tous les spectateurs se jettent sur lui : il parvient à sortir de la salle, mais il est poursuivi dans les rues à coups d’épées et de bâtons ; et peut-être aurait-il péri, si un Beaunois n’avait eu la grandeur d’âme de lui ouvrir sa porte et de lui donner asile.

Piron composa contre les habitants de cette pauvre ville une foule d’épigrammes, et les Dijonnais ont pris plaisir à l’imiter. Tous les jeux de mots auxquels peut donner lieu la comparaison

  1. Recueil de la Mésangère, tome I, p. 149.