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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

sous le matin. Je rencontre quelquefois des figures de ce genre dans la rue à Paris ; je gagerais qu’elles arrivent de Lyon.

Le genre simple, qui est l’idéal du Parisien, et que toute sa vie il se donne tant de peine à attraper, semblerait bas et peu digne au Lyonnais.

Mais, ici comme ailleurs, noblesse oblige. La garde nationale de Lyon[1] s’est fait tuer douze cents hommes dans l’admirable défense de cette ville, en 1795 (à Lyon on dit quinze mille). Il est vrai que ces messieurs étaient dirigés par une foule d’officiers émigrés et par le brave Précy ; les chefs savaient se battre et les soldats avaient de l’enthousiasme. Voilà le beau côté du caractère lyonnais : être susceptible d’un enthousiasme qui peut durer jusqu’à deux mois. Celui de Paris dure six heures, comme on le vit lorsque Napoléon présenta son fils à la garde nationale, dans le grand salon des Tuileries.

La garde nationale de Lyon me semble digne de soutenir la comparaison avec celle de Vienne, en Autriche, qui deux fois, en 1797 et en 1809, a fourni des corps de volontaires que les armées françaises ont été obligées de tuer en entier, six semaines après qu’ils avaient été formés. Dans la campagne de 1809, sur les bords de la Traun, les volontaires de Vienne, en mourant sous la mitraille du maréchal Masséna, étaient tombés les uns en avant, les autres en arrière ; mais la ligne ondoyante formée par leurs chaussures d’uniforme et fort remarquable n’avait pas plus de huit pieds de largeur. Un homme qui avait un crachat y était caporal, et, qui plus est, s’était fait tuer.

Mes affaires m’ont souvent appelé à Lyon ; dès que je suis en cette ville, j’ai envie de bâiller, et les plus belles choses ne font plus d’effet sur moi. Il est vrai que j’ai toujours logé chez le fatal cousin, dans la rue Bât-d’Argent. C’est pour la première fois que j’ose m’établir à l’auberge.

  1. Elle s’est également fort bien battue, en 1814, contre les Autrichiens.