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ŒUVRES DE STENDHAL.

gociants les plus libéraux, ennemies passionnées des écoles d’enseignement mutuel. Rien de plus simple, ces dames vont à confesse.

Remarquez que depuis 1850 toutes les Jeunes filles de France, à l’exception des environs de Paris, sont élevées dans des couvents de religieuses. Ici je voudrais bien trouver une expression qui pût rendre ma pensée et ne fût pas odieuse et peu polie ; mais enfin ces couvents sont animés du plus violent fanatisme contre la liberté de la presse. Sans doute leur chef invisible voit que c’est l’ancre unique à laquelle tiennent toutes nos libertés. La première question que l’on fait à une femme dans un certain tribunal est celle-ci : Quelles sont les opinions de votre mari ? On ajoute : Il faut pourtant bien qu’il se convertisse, et votre devoir est de tout employer pour hâter cet heureux moment. Avez-vous des gravures chez vous ? Que représentent-elles ? Avez-vous le portrait du roi ?… Songez aux droits sacrés des princes… (Je supprime deux pages.) À Marseille, les questions sont bien autrement incisives.

Une simple religieuse, madame Per…, qui depuis 1806 s’occupait de l’éducation des jeunes filles, et qui possédait pour toute fortune un mobilier dont la valeur pouvait bien s’élever à vingt louis, a dépensé, depuis 1815, quatre cent mille francs.

Madame Per… a étonné la ville qu’elle habite par la construction d’un couvent fort considérable destiné à l’éducation des jeunes filles. Lorsqu’elle commença à creuser les fondations, elle avait en caisse soixante mille francs. Ses amis furent effrayés, les conseils prudents lui arrivaient de toutes parts ; en effet les fondations ne furent pas arrivées à la hauteur du sol, que les soixante mille francs étaient dépensés. Madame Per… calcula qu’elle avait eu mille élèves. Elle écrivit une circulaire touchante par laquelle elle demandait cinquante francs au mari de chacune de ses élèves. En fort peu de jours cette circulaire lui valut trente-cinq mille francs. Je n’ai pas besoin de dire que le couvent est achevé et magnifique. On m’assure que