Aller au contenu

Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous sommes en particulier ou avec nos amis choisis. Je veux que vous me dénommiez, lorsque je suis chez vous ou avec vous et votre famille, par le nom seul de Noé, sans votre monseigneur, qui me contrarie toujours venant de votre part, et je ne veux pas non plus de celui de monsieur ; appelez-moi, vous dis-je, Noé ou mon ami ; voilà ce que je te permets, entends-tu bien, Athanase ? Et il ajoute : Voici la proposition que j’avais à te faire ; je veux, j’exige, et je l’ordonne même s’il le faut, qu’à l’avenir tu me tutoies, et plus de vous entre nous, mon très-cher. Tu possèdes toute mon amitié jointe à une profonde estime méritée par la modeste vertu exemplaire ; et, aurais-je pour ami intime le roi Louis XVI lui-même, je ne me croirais pas plus honoré que je ne le suis du vrai et beau titre d’ami que je te porte et que tu mérites si bien. — Monseigneur ! répondit Athanase. — Encore… mais je vais me fâcher tout de bon. Vous ne m’entendiez donc pas, monsieur, et m’écoutiez encore moins ? — Je vous demande pardon, dit mon oncle, permettez-moi de vous expliquer ma pensée : nous nous aimons beaucoup, j’admets même au delà de toute expression ; veuillez croire, je vous prie, à toute la pureté de mon observation que vous approuverez, je suis sûr, quand vous l’aurez entendue. Je serais honoré et flatté de cette marque extrême d’intérêt ; mais, habitués, à nous tutoyer dans le secret de nos familles, pourrions-nous toujours assez nous observer en public ? et un tu ou toi ne viendrait-il pas avec inopportunité et la grande habitude d’être plus souvent ensemble solitairement que dans les cérémonies d’apparat où nous devons nous trouver tous deux ? Non, votre simple ami et vicaire ne doit pas se permettre de vous dire toi, je ne le pourrais jamais ; notre dignité mutuelle s’oppose aussi à ce que vous me fassiez cette faveur tout seul, et, me tutoyant sans que j’osasse le faire pour vous, cher de Noé, ne serait-ce pas m’assimiler à votre domesticité ? — Ah ! tu as raison. Eh bien ! pour ce soir seulement dis-moi toi. — Ah ! je le veux, oui toi, mon bon, mon véritable et sincère ami, reçois de nouveau l’hommage de