Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/282

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peur de tomber dans le genre ennuyeux, et peut-être envieux aux yeux des nigauds. Je supplie le lecteur de penser un peu sérieusement à ce qui se passe à la préfecture de son département, et ensuite de répondre comme juré : — Le récit précédent peint-il les choses en noir ?

Si le lecteur habite Paris, il n’est pas juge compétent. Sur quel fait administratif sait-on la vérité à Paris ? Un homme qui donne des dîners n’a-t-il pas toujours deux cents amis dans la société qui s’empressent de nier tout ce qui est défavorable ? De là la passion de pouvoir donner des dîners qui travaille le petit bourgeois de Paris.

Voici un dialogue qui n’a pas quinze jours de date, entre un député arrivant de Paris et un préfet.

Le député. — … Du reste, vous allez recevoir les nominations de cinq percepteurs.

Le préfet. — Ah ! tant mieux ! je les attendais avec impatience, le canton de Pin est bien mauvais ; depuis la loi d’apanage les républicains y fourmillent. Mais ces nouveaux percepteurs que j’ai choisis avec soin sont des gens remuants qui prennent la parole dans les cafés, et avec eux j’espère bien reprendre le dessus. Tout va bien.

— Mais, mon cher préfet, les percepteurs dont je vous annonce la nomination ne sont pas ceux que vous avez demandés ; les nouveaux percepteurs sont messieurs Durand pour Rochefort, Pierret pour Souvigny, etc., etc.

— Eh ! mon Dieu ! qu’est-il donc arrivé ?

— Rien que de bien simple : c’est moi qui ai demandé ces places, et mes candidats ont été préférés aux vôtres.

— Eh ! grand dieu ! qui a pu vous porter à une telle démarche ?

— Chacun de ces nouveaux percepteurs me procurera au moins cinq voix, et, ce qui vaut mieux encore, c’est que ce sont vingt-cinq voix que j’enlève à mon rival, M. Dufrêne.

Le préfet, se laissant tomber sur un fauteuil avec tous les signes du découragement :