Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/326

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quelque armée à la Xerxés. Mais où trouver en Suisse un homme qui sache vouloir ? Y a-t-il encore en Europe des hommes à la Jackson ? On trouverait sans doute des Robert-Macaire très-braves et beaux parleurs. Mais, dans les circonstances difficiles, l’homme sans conscience manque de force tout à coup : c’est un mauvais cheval qui s’abat sur la glace, et ne veut plus se relever.


— Nantes, le 30 juin 1837.

J’avais remarqué le musée ; c’est un bâtiment neuf qui s’élève près de la rive droite de l’Erdre. Mais je redoutais d’entrer dans ce lieu-là ; c’est une journée sacrifiée, et souvent en pure perte. Le rez-de-chaussée sert pour je ne sais quel marché.

Notre beau temps, si brillant hier à la chasse, s’est gâté cette nuit : le ciel est gris de fer ; tout paraît lourd et terne, et je suis un peu évêque d’Avranches ; mauvaise disposition pour voir des tableaux.

Nous traversons ce boulevard que j’aime tant ; place charmante, paisible, retirée ; au milieu de la ville, à deux pas du théâtre, et cependant habitée par des centaines d’oiseaux. Jolies maisons à façades régulières : belle plantation de jeunes ormes ; ils viennent à merveille : il y a ici ce qui favorise toute végétation, de la chaleur et de l’humidité.

Le musée est un joli bâtiment moderne, sur la petite place des halles ; si je connaissais moins la province, je supposerais que ces grandes salles (il y en a sept), d’une hauteur convenable, ont été construites tout exprès pour leur destination actuelle. Mais comment supposer que MM. les échevins auraient gaspillé les fonds de l’octroi pour une babiole aussi complètement improductive qu’une collection de tableaux ? Il est infiniment plus probable que le bâtiment était destiné à un grenier d’abondance.

Les provinciaux sont jaloux de Paris, ils le calomnient. « On nous traite comme des Parias, » s’écrient-ils ! mais ils imitent tou-