sentiment qui préfère de beaucoup l’élégance à la force et l’esprit à la justice. La chevalerie a éclipsé le bon sens de la Rome antique, et le bon sens des deux chambres bannit la chevalerie. Tout cela va donner plusieurs genres de beau aux gens de goût.
Ce soir j’ai rencontré M. Charles, le père-noble de la troupe qui joue ici. Grande reconnaissance : je l’ai beaucoup connu sous-officier d’artillerie à la Martinique. C’est un homme de cœur et d’un rare bon sens. Quel aide de camp pour un ministre !
M. C. a cela de particulier, qu’il n’est dupe d’aucune apparence ; la position plutôt inférieure qu’il occupe dans la vie n’a aucune influence sur sa façon de voir les choses.
L’art de jouer la comédie ne se relèvera en France, me dit-il, que lorsque l’on cessera d’imiter le grand seigneur de cour, dont la réalité n’existe plus. Rien de plus profondément bourgeois que les manières et les figures des huit ou dix personnages estimables les plus haut placés dans l’almanach royal. Une ou deux exceptions tout au plus. Les derniers grands seigneurs ont été M. de Narbonne, mort à Wittemberg, et M. de T.
Eh bien ! reprend M. C, dès que le bourgeois de Nantes, devant qui l’on joue la comédie, voit le mot Clitandre dans la liste des personnages, il veut qu’on lui donne une copie des manières qu’il se figure qu’avait autrefois le maréchal de Richelieu. Figurez-vous, si vous pouvez, ce qu’il se figure.
On ne verra des acteurs passables, poursuit le sous-officier, que quand les enfants de douze ans qui ont joué la comédie à Paris, sur le théâtre de l’Odéon et au passage de l’Opéra, en auront vingt-cinq. En arrivant à l’âge des passions, il ne sera plus question pour eux ni de timidité, ni de mémoire, ni de gestes, etc. Ils pourront ne plus donner leur attention au mécanisme de l’art, et la concentrer tout entière sur la chose à imiter et à idéaliser. Si la nature leur a donné des yeux pour reconnaître quelle est l’apparence extérieure d’un jeune homme né avec quarante mille livres de rente, ils pourront en donner l’imitation dans le rôle de Clitandre. Alors, autre malheur : on