Aller au contenu

Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

francs de rente. Les historiens racontent qu’il avait une garde de deux cents hommes, des pages, des chapelains, des enfants de chœur, des musiciens. La plupart de ces gens-là étaient agents ou complices de son affreux libertinage. Bientôt, lassé des voluptés ordinaires, il prétendit les rendre plus piquantes par un mélange de crimes.

J’ai trouvé d’autres détails sur sa magnificence. En sa qualité d’homme à imagination, la religion jouait un grand rôle dans sa vie. Sa chapelle était tapissée de drap d’or et de soie (de soie, alors plus précieuse que l’or : on se rappelle l’histoire de la paire de bas de soie de François 1er, un siècle plus tard).

Les vases sacrés, les ornements de cette chapelle, étaient d’or et enrichis de pierreries. Il était fou de musique, et avait un jeu d’orgue qui lui plaisait tellement, qu’il le faisait porter avec lui dans tous ses voyages.

J’étudie le caractère du maréchal de Retz, parce que cet homme singulier fut le premier de cette espèce. François Cenci, de Rome, ne parut qu’en 1560. Il faut, pour que le caractère de Don Juan éclate, la réunion d’une grande fortune, d’une bravoure extraordinaire, de beaucoup d’imagination et d’un amour effréné pour les femmes. Il faut de plus naître dans un siècle qui ait eu l’idée de prendre les femmes pour juges du mérite. Du temps d’Homère, les femmes n’étaient que des servantes ; Achille, si brillant, ne songe pas du tout au suffrage de Briséis ; il lui préfère celui de Patrocle.

Les chapelains du maréchal de Retz, vêtus d’écarlate doublée de menu vair et de petit gris, portaient les titres de doyen, de chantre, d’archidiacre et même d’évêque. Pour dernière folie de ce genre, il députa au pape afin d’obtenir la permission de se faire précéder par un porte-croix.

Un des grands moyens que le jeune maréchal employait pour conquérir l’enthousiasme des habitants des villes, où l’amour effréné du plaisir le conduisait, c’était de donner, à grands frais, des représentations de mystères. C’était le seul spectacle connu