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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Une tour ronde dans la rue de la Cathédrale indique les anciennes fortifications de la ville.

Je suis revenu en courant chez moi, me consoler de tant d’admirations par la lecture des mémoires de Retz en un volume que j’ai découvert ce matin, en passant devant un libraire. Puis, un peu remis, je suis sorti tout seul. Nantes a réellement l’air grande ville ; j’aime beaucoup la place Royale, vaste et régulière. Elle est formée de neuf massifs de bâtiments, construits sur un plan symétrique. Le bonheur de Nantes, c’est que la mode a bien voulu y adopter de belles maisons en pierre à trois étages, à peu près égaux ; rien n’est plus joli. Les vilains quartiers, formés de maisons de bois dont le premier étage avance sur la rue, comme à Troyes, disparaissent rapidement. On trouve en plusieurs endroits de jolis boulevards formés de quatre rangs d’arbres et entourés de belles maisons. À la vérité, ces boulevards sont solitaires, et les maisons ont l’air triste. Souvent je suis allé lire dans celui qui est situé presque en face du théâtre ; mais on ne l’aperçoit point de la place Graslin. Il est peuplé d’une infinité d’oiseaux chanteurs[1].


— Nantes, le 4 juillet.

Le croira-t-on ? je n’ai pu me défendre d’une seconde course pour admirer Nantes. Les charges de l’amitié, même la plus nouvelle, l’emportent souvent sur ses agréments. Cette obligation de regarder avec attention et une sorte de respect apparent tant de plates colonnes sans style, m’avait assommé. Longtemps j’ai lutté ; nous avions des dames, et mon aimable cicérone avait pris le landau d’un de ses amis : il est impossible

  1. On m’a dit que c’est le cours de Henri IV. Toujours Henri IV ! En exagérant le mérite et surtout la prétendue bonté de cet adroit Gascon, fort envieux de sa nature, et qui défendait à ses courtisans de lire Tacite de peur qu’ils n’y prissent des idées d’indépendance peu favorables à son autorité, on finira par forcer les gens qui savent à dire toute la vérité sur ce grand général.