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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/51

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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

s’évanouit. Son mari survient et finit par avouer que son beau-père était mort deux heures avant l’arrivée de messieurs les notaires, mais en disant et répétant toujours qu’il voulait tout laisser à sa fille, etc., etc. Comme, pendant le long récit de ce bon vouloir et de ses causes, de la mauvaise conduite du fils, grand dissipateur, etc., etc., le gendre commençait à reprendre courage, le commissaire de police lui coupe la parole, et parle de nouveau de galères et d’exposition. Enfin, après une petite scène menée rondement par le dandy, enchanté de jouer un rôle, le gendre, d’une voix éteinte, prie les notaires de lui remettre la minute de l’acte et la déchire lui-même. Le commissaire de police force le gendre d’avouer que c’est son fermier qui, témoin de leur douleur à la mort subite du beau-père, qui sans doute allait faire un testament en leur faveur, a eu la malheureuse idée de se placer sous le lit ; on avait ôté deux planches du fond du lit, et le hardi fermier assis sur le plancher, et la tête placée presque à la hauteur de celle du testateur, la faisait mouvoir facilement avec les deux mains.

Je suis comme le lecteur, je trouve cette anecdote patibulaire bien longue écrite ; racontée, elle marchait bien. Chacun des auditeurs ajoutait quelque détail plaisant au récit du combat que se livraient, dans le cœur des notaires, la peur de se compromettre et la probité.

J’ai ouï citer dans mon voyage plusieurs faits semblables ; souvent, dans les petites villes, il y a des soupçons, mais, au bout de deux ou trois mois, on parle d’autres choses. Ce qui est important en pareille occurrence, c’est d’éloigner les chiens.


— Moulins, le 21 avril.

Un homme de bon sens, qui de plus a des millions acquis par ce bon sens, me disait ce soir :

— Les marchés sont encombrés ; on produit trop. Puisque vous payez une académie des sciences morales et politiques, pourquoi ne pas lui demander par quel moyen on pourrait em-